Marcel Ophüls, la caméra contre l’amnésie française

27 mai 2025

Disparition d’un cinéaste de la mémoire et du trouble

Le 24 mai 2025, Marcel Ophüls s’est éteint. Avec lui disparaît une conscience cinématographique, un homme dont la caméra n’a jamais cessé de fouiller les zones d’ombre de l’Histoire. Fils de Max Ophüls, réalisateur virtuose du classicisme européen, Marcel aura hérité du regard perçant de son père, mais en l’orientant vers les champs de bataille de la vérité, là où le récit national vacille.

En 1971, son film Le Chagrin et la Pitié fend le silence d’une France qui, jusqu’alors, préférait se rêver tout entière résistante. Dans une petite salle du Quartier Latin, les premiers spectateurs découvrent, abasourdis, les témoignages de ceux qui ont vécu l’Occupation à Clermont-Ferrand. Entre résignation, collaboration, duplicité et bravoure, les paroles recueillies tissent un tableau nuancé, humain, parfois dérangeant. En sortant de l’ombre les compromissions, Ophüls brise un tabou : le mythe gaullien d’une France unie face à l’ennemi s’effondre.

Refusé d’antenne par l’ORTF pendant dix-huit mois, ce documentaire-fleuve devient pourtant une œuvre de référence, un film de combat. Comme le rappelle l’historienne Sylvie Lindeperg : « C’était une machine de guerre contre le gaullisme et sa vision de l’histoire ». Loin de l’agitation sensationnaliste, Ophüls incarne un cinéma du contre-champ, un travail d’orfèvre de l’enquête et du montage. Il interroge les figures officielles, donne voix aux oubliés, et met en crise les certitudes.

Franco-américain d’origine allemande, marqué par l’exil et les tragédies du XXe siècle, Marcel Ophüls a toujours poursuivi une quête de justice et de lucidité. Oscar du meilleur film documentaire pour Hôtel Terminus : Klaus Barbie, sa vie et son temps , son œuvre explore les continuités du mal, les responsabilités partagées, les trous de mémoire. Il ne filme pas pour apaiser, mais pour éveiller.

Aujourd’hui, alors que les débats sur la mémoire collective, les révisions de l’histoire et les manipulations politiques restent brûlants, la disparition de Marcel Ophüls nous rappelle que le documentaire peut être une arme – "un miroir tendu à une nation qui ne voulait pas se voir".

Et si l’on devait lui emprunter une réplique, ce serait peut-être celle de Louis Jouvet dans Entrée des artistes :
« Il ne faut pas mentir. Pas même sur scène. »